Au cours des cinq premiers mois de l’année 2022, huit maisons de presse de quatre pays différents ont été attaquées, avec l’une d’elles réduite en cendres, dans une tempête qui a vu au moins 13 journalistes et travailleurs des médias agressés et plusieurs équipements détruits.
Trois de ces attaques ont eu lieu au cours des deux premières semaines de janvier, marquant un début d’année plutôt tempétueux. Elles ont été perpétrées au Ghana, en Guinée-Bissau, au Libéria et au Nigéria.
Elles ont débuté le 3 janvier, lorsqu’un groupe de militants politiques a pris d’assaut les locaux de Thunder Blowers, un site d’information basé à Gusau, dans l’État de Zamfara au Nigéria et y a semé le chaos. Les intrus ont agressé Mansur Rabiu, un rédacteur en chef du journal en ligne. Ils se sont défoulés sur Rabiu après avoir demandé où se trouvait Abdul Balarabe, le rédacteur en chef du journal en langue haoussa et s’être entendu dire qu’il était absent. Les agresseurs ont alors battu Rabiu à l’aide de bâtons jusqu’à ce qu’il ne réussisse à s’échapper et à se réfugier dans un bureau adjacent avant de s’y enfermer. Ils ont également emporté un certain nombre d’ordinateurs, un serveur Internet et des téléphones portables. Un membre de la bande à ensuite appelé l’organisation de média pour révéler que l’attaque avait été menée en représailles à une interview critique sur le gouvernement de l’Etat de Zamfara que le journal en ligne avait publiée.
Une semaine plus tard, dans la journée du 10 janvier, quatre agents de la National Intelligence Agency (NIA) ont fait irruption dans le siège de la Peoples Gazette à Abuja. Ils ont menacé les agents de sécurité à l’entrée et ont forcé le passage jusque dans les bureaux du média pour exiger les sources d’un mémo confidentiel qui était à la base d’un rapport publié par le journal en ligne. Les agents de la NIA ont alors demandé à voir le directeur de la rédaction, Samuel Ogundipe ainsi que Hillary Essien, l’auteur présumé des articles publiés en décembre 2021. Le personnel de l’organe de presse a eu peur à cause de cette intrusion violente, mais il y a eu plus de peur que de mal.
La violence à l’encontre des médias s’est poursuivie avec l’attaque de Radio Ada (93.3 FM) dans la région du Greater Accra, au Ghana, le 13 janvier. Environ une dizaine de malfrats ont pris d’assaut la station en demandant à voir le directeur. Lorsqu’ils se sont entendu dire qu’il était absent, ils ont alors enfoncé la porte du studio, ont ordonné au présentateur, Gabriel Korley Adjaotor, d’arrêter d’émettre et se sont mis à débrancher les câbles, à casser les ordinateurs et à détruire la console et les microphones.
Après avoir mis le studio sens dessus dessous, les malfrats ont agressé Adjaotor et, plus tard, deux autres journalistes. Ils ont mis en garde la station de radio de mettre fin à son programme de reportage consacré à l’industrie minière du sel, pilier de l’économie locale. Des manifestations avaient été organisées par les jeunes de la ville depuis qu’une grande partie de la lagune Songhor, riche en sel, avait été cédée à une entreprise pour l’extraction du sel.
Le 7 février 2022, aux alentours de 10 heures du matin, un groupe d’hommes en uniforme militaire, a pris d’assaut Radio Capital FM, basée à Bissau, a agressé au moins sept membres du personnel et réduit les locaux à un tas de ruines. L’une des victimes, la journaliste Maimuna Bari, a été évacuée au Portugal pour y être soignée après avoir été grièvement blessée lors d’une chute vertigineuse. Les agresseurs encagoulés ont détruit tous les équipements du studio, les meubles, les consoles, les ordinateurs, les tables de mixage et les transmetteurs.
L’attaque est survenue juste un jour après que la station a réalisé un reportage exhaustif et peu flatteur sur une tentative de coup d’Etat. Il s’agit de la deuxième attaque de ce type perpétrée contre la station en moins de deux ans. Radio Capital a la réputation d’être critique à l’égard du gouvernement actuel. Elle a donc fait l’objet de poursuites judiciaires de la part de nombreux fonctionnaires et institutions publiques. Jusqu’à présent, elle n’a pas réussi à se remettre de la tragédie et reprendre l’antenne.
Le 5 mars, à Foya, au Liberia, des inconnus se sont introduits de nuit dans les locaux de la radio Tamba-tiakor pour y semer le trouble. Les assaillants ont curieusement mis le feu a une moto dont la station se servait pour ses déplacements et ses courses, mais n’ont touché à rien d’autre. L’incident aurait eu pour but d’intimider la station de radio.
Le 10 avril, trois hommes armés soupçonnés d’être des voleurs ont pris d’assaut les locaux d’une station de radio privée, Fresh 105.9 FM, située à Ibadan dans l’État d’Oyo. Aux environs de 6h 20 du matin, les voleurs ont débarqué à la station à moto et ont saccagé tous les services et bureaux de la station, perturbant la diffusion de la station pendant environ 20 minutes. En repartant, ils ont emporté des équipements appartenant à la station et des effets personnels du personnel, notamment des enregistreurs, des smartphones et des ordinateurs portables, mais n’ont blessé personne.
Un nouvel incendie criminel a été perpétré contre une station de radio au Libéria le 23 avril, entraînant la destruction des locaux de la station de radio communautaire. Aux alentours de 4 heures du matin, le bâtiment abritant Radio Kintoma, basé à Voinjama, dans le comté de Lofa, a été la proie des flammes. Heureusement, la station n’avait pas encore commencé à émettre et aucun membre du personnel ne s’était encore présenté au travail. Tokpa Tarnue, le directeur de la station, a confié à la MFWA que la direction avait reçu des informations selon lesquelles les autorités traditionnelles de la communauté seraient mécontentes de la campagne que menait la station contre l’excision des filles, une pratique culturelle courante dans la région. La police enquête toujours sur cette attaque.
Dans la soirée du 16 mai, des gangsters ont fait irruption dans les studios de Benya FM, ont agressés un animateur et un producteur avant de détruire l’équipement de la station située à Elmina, dans la région centrale du Ghana. Les trois hommes costauds à moto, ont roué leurs victimes de coup de pieds, de gifles et de coups de poings avant de détruire les ordinateurs, les tables de mixage et les microphones. Ces malfrats qui seraient des militants du parti politique au pouvoir, ont accusé la station d’exagérer les problèmes liés à la distribution aux pêcheurs de la région de carburant prémélangé subventionné par le gouvernement.
Qu’il s’agisse des mutilations génitales féminines à Lofa (Libéria), de l’état de l’industrie d’extraction du sel et de la pêche à Ada (Ghana), ou de la tentative de coup d’État en Guinée-Bissau, les médias ont un rôle crucial à jouer et ont le devoir de mettre en exergue ces questions d’intérêts public. En effet, toute organisation médiatique réellement engagée envers son public est censée se concentrer sur ces développements majeurs qui affectent directement la vie des citoyens. Il s’agit d’un exercice légitime des fonctions d’éducation publique des médias et de la réalisation du droit du public à l’information sur les questions critiques d’intérêt local ou national. En effet, il s’agit là de l’essence même du rôle des médias en tant que plateforme d’engagement et catalyseur du droit à l’information.
Malheureusement, cette fonction cruciale des médias est devenue une source de frustration pour certains groupes et individus dont les intérêts sont touchés. Que des malfrats agressent des reporters sur le terrain est déjà terrible. Mais cela devient inadmissible lorsqu’ils suivent ces derniers jusqu’à leur lieu de travail, qu’ils attaquent le bâtiment qui abrite les organisations médiatiques pour lesquelles ils travaillent et détruisent les équipements.
Il s’agit d’une tentative grossière de réduire au silence les journalistes critiques et les organes des médias pour lesquels ils travaillent. Et les objectifs des attaques contre les médias, notamment les stations de radio, sont souvent atteints, même si ce n’est que momentanément car la transmission est souvent interrompue, parfois pendant des semaines. Au moment de la rédaction de cet article, Capital FM (Guinée Bissau) était toujours fermée, tandis que Radio Kintoma (Liberia) a recommencé à émettre depuis le 14 mai, à partir d’un bureau temporaire constitué d’une seule pièce, après une interruption de trois semaines.
Il est regrettable de constater qu’alors que les organes de presse touchés continuent de souffrir de ces attaques, les auteurs de ces actes n’ont pas été inquiétés, à l’exception des malfrats qui ont attaqué Benya FM au Ghana et qui ont été traduits en justice le vendredi 23 mai. « Nous menons l’enquête » est devenu le refrain chanter par la police, suivi presque toujours par aucune piste, aucune arrestation, aucune évolution ; affaire classée !
C’est une tendance récurrente de l’échec et de l’impuissance policière qui ne cesse d’alimenter de nouvelles attaques. Cependant, c’est une tendance qui doit être changée. Les organisations médiatiques concernées et l’ensemble des médias des pays touchés doivent continuer à suivre les dossiers avec la police, exiger des mises à jour et lancer des campagnes de compte à rebours et commémoration afin de maintenir une pression constante sur les autorités pour qu’elles trouvent les auteurs des attentats.
La Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest exprime sa solidarité envers les médias attaqués et leur personnel. Nous saluons leur courage face à la persécution et appelons toutes les parties prenantes à prêter main forte pour repousser les malfrats et les pyromanes qui s’acharnent à réduire au silence les journalistes critiques et les organisations médiatiques.